Interview de l’Ambassadeur Marie-Thérèse Pictet-Althann
Avec plus de 2 500 conférences organisées chaque année, Genève est la capitale mondiale de l’engagement humanitaire et un des pôles de la diplomatie multilatérale. 172 Missions permanentes, 30 Organisations internationales et environ 250 ONG constituent la “Genève internationale” à travers le travail de 28 000 diplomates et fonctionnaires. L’Ordre souverain de Malte y est présent avec une Mission d’Observateur permanent auprès des Nations unies et de ses agences spécialisées, ayant comme objectif de développer des relations avec les organisations humanitaires internationales et intergouvernementales et de les informer des activités de l’Ordre de Malte, en contribuant au débat sur les questions liées à la protection de la dignité des personnes. L’Ambassadeur Marie-Thérèse Pictet-Althann, qui conduit la mission diplomatique depuis 2005 explique dans cet entretien son rôle et comment la Mission a changé au cours des années.
Le rôle d’Observateur permanent auprès des Nations unies à Genève a beaucoup changé ces dernières années pour de multiples raisons. Les activités internationales dans le secteur des aides humanitaires ont notablement augmenté face au nombre croissant des catastrophes naturelles et des désastres causés par l’homme. Ceux-ci ont provoqué une hausse du nombre d’organisations et d’agences humanitaires présentes à Genève. Dans notre Mission, nous avons quatre diplomates avec des expériences professionnelles différentes. Nous sommes impliqués toute l’année dans des conférences, des rencontres officielles, des consultations informelles et d’autres événements parallèles. En plus de la regrettable augmentation du nombre des crises, la charge des engagements s’est encore intensifiée suite également à l’établissement du Conseil pour les droits de l’homme en 2006. Cela a sans aucun doute fait de Genève un siège encore plus important, puisque le Conseil traite des questions liées à celles affrontées par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU (toutes deux ayant leur siège à New-York). Le Conseil des droits de l’homme se réunit en trois sessions par an, auxquelles s’y ajoutent celles extraordinaires pour affronter les conflits et autres situations d’urgence (Irak, Gaza, Syrie, Libye, etc…). Nous nous adressons au Conseil sur des thèmes d’intérêt pour les activités de l’Ordre de Malte et nous participons aux débats et consultations préliminaires pour l’adoption de décisions et résolutions par les États membres.
Nous organisons en outre des événements parallèles avec d’autres Missions et co-parrainons des événements sur des thématiques directement liées à la vocation de l’Ordre, en particulier la liberté de religion, les réfugiés, la santé, les migrations, les formes modernes d’esclavage, la protection des familles, les personnes âgées, la paix et les droits de l’homme. À titre d’exemple, l’année dernière nous avons fêté le 50ème anniversaire de la “Pace in terris”, l’Encyclique publiée par Jean XXIII en 1963, peu avant sa mort, dans laquelle le Pape exhorte à résoudre les conflit par la négociation et non pas à travers la violence. Nous collaborons étroitement avec le Nonce apostolique, Son Exc. l’archevêque Sivano Maria Tomani, et avons créé ensemble la Fondation “Caritas in Veritate”. Grâce à la collaboration avec des experts du monde entier, la Fondation nous aide à repérer et à développer des thèmes d’intérêt comme le dialogue inter-religieux, la lutte contre l’esclavage, les questions éthiques, dans le but de générer un impact concret et efficace sur la scène internationale.
La Guerre en Syrie et en Irak et ses répercussions sur les pays limitrophes : le Liban, la Turquie, la Jordanie. Quel jugement portez-vous sur l’efficacité de la diplomatie internationale face à l’objectif de mettre fin àcette traînée de sang et de garantir la sécurité des millions de civils impliqués?
Du point de vue humanitaire le résultat a été contradictoire. En Syrie, il existe un problème interne très complexe. Environ 4,5 millions sur 6,4 millions de réfugiés vivent dans des zones d’accès difficile pour les agences humanitaires à cause des restrictions à l’entrée et du niveau d’insécurité. Aussi bien la Jordanie que la Turquie ont été extrêmement généreuses : elles ont accueilli respectivement 608 000 et 815 000 réfugiés en gardant leurs frontières ouvertes. Le Liban, avec lequel l’Ordre a noué des rapports de collaboration, a accueilli plus d’1,1 million de personnes sur un total de moins de 5 millions d’habitants. Le pays vit actuellement un moment extrêmement difficile et le nombre massif de réfugiés syriens met à dure épreuve le système économique, de santé et d’instruction du pays. Les centres d’accueil et les services publiques sont surchargés au-dessus de la limite par cet afflux massif et souffrent d’un point de vue économique à cause de la crise des réfugiés.
L’UE s’efforce d’unir tous les pays membres sous une unique bannière de politique étrangère. Selon vous cela pourrait-il renforcer l’action de la diplomatie internationale et des aides humanitaires?
Les directives adoptées par l’UE en 2005 et mises à jours en 2009 destinées à la promotion du respect du droit humanitaire représentent une série de mesures optimales que chaque État adhérent à la Convention de Genève devrait adopter. La question est la suivante : combien de pays de l’UE ont réellement adopté de telles mesures?
Étant donnée la situation dramatique actuelle dans de vastes zones du Moyen-Orient, avec les menaces aux Chrétiens et aux autres minorités religieuses, la trêve fragile entre la Palestine et Israël, les guerres qui perdurent en Afrique centrale qui provoquent la famine et des millions de réfugiés, quel est le rôle de la Mission de l’Ordre de Malte à Genève?
Il est nécessaire de rappeler deux objectifs fondamentaux : d’un côté la possibilité d’avoir accès aux personnes dans le besoin et de l’autre de protéger et prévenir. Il faut aussi rappeler régulièrement à la communauté internationale les droits fondamentaux de l’homme et d’invoquer l’application de l’Article 3 de la Convention de Genève de 1949. Il est indispensable de protéger la vie et la dignité des personnes, mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous faisons la promotion de la dignité des personnes et du respect de la liberté de religion et à la protection des minorités.
Ces crises sont en train d’alimenter la traite des êtres humains liée à l’immigration forcée. Que devraient faire, selon vous, les Institutions européennes et l’ONU face à cet afflux de migrants?
L’UE n’a pas encore fixé sa politique pour l’immigration. Le Directeur de l’Organisation internationale pour l’immigration a fait appel aux États membres pour qu’ils considèrent l’immigration comme une opportunité. Si l’on accueille les immigrés avec générosité, à bras et esprit ouverts, nous n’obtiendrons que des bénéfices de leur présence. Nous adhérons pleinement à ce message. Cela dit, la question doit être affrontée avec une stratégie à long terme pour définir une politique de l’intégration. Il est nécessaire de créer des relations non seulement en Europe mais aussi avec les pays d’origine. L’Ordre de Malte est très actif dans le domaine de l’immigration. Nous offrons une assistance aux migrants dans de nombreux pays comme l’Allemagne, la France, la Belgique et l’Espagne et sommes actuellement engagés dans les opérations de secours dans le Détroit de Sicile.
Vous avez fait partie du groupe des Ambassadeurs qui a participé à la préparation de l’événement “Le pouvoir des femmes de créer un changement profond” du Conseil des droits de l’homme. Pensez-vous que les femmes puissent faire la différence dans le domaine des droits de l’homme?
Je pense que oui. Notre groupe de femmes ambassadeurs a décidé de contribuer à l’application des droits des femmes en organisant un événement annuel pendant la session principale du Conseil des droits de l’homme. Cette année nous avons analysé le thème que vous avez indiqué et en 2013 nous nous sommes concentrées sur “le pouvoir de confier la responsabilité aux femmes”. Nous invitons des femmes, personnalités célèbres provenant du monde entier, pour partager avec nous leur expérience et raconter comment elles sont arrivées à leur position actuelle. À travers leur témoignage, elles deviennent non seulement un exemple pour les autres femmes, mais aussi une source d’encouragement pour un engagement plus important des femmes dans les rôles clés et dans les processus de décision de façon à réduire la pauvreté, en développant la productivité économique et en améliorant les conditions de vie dans leur pays d’origine.