Le Grand Maître Fra’ Matthew Festing a reçu aujourd’hui le corps diplomatique accrédité près l’Ordre de Malte pour l’audience du début de la nouvelle année. La rencontre a eu lieu à la Villa Magistrale sur l’Aventin.
Ci-dessous le discours du Grand Maître
Monsieur le Doyen, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Les mots de bienvenue avec lesquels je m’adresse à vous aujourd’hui sont bien plus qu’une simple formalité. L’échange traditionnel de vœux au début d’une nouvelle année de travail ensemble est l’occasion de montrer le crédit et la valeur attribués à chacun de vous, experts en relations internationales. La diplomatie est en effet une dimension vitale de l’Ordre souverain de Malte.
Je tiens à remercier l’ambassadeur de la République tchèque, Pavel Vosalik, pour ses mots aimables et vous salue tous très chaleureusement, en particulier les ambassadeurs qui participent pour la première fois à cette audience. Cette rencontre me donne l’opportunité de revenir avec vous sur les défis humanitaires de l’année passée – défis auxquels le monde et notre Ordre ont fait face dans de si nombreuses parties de la planète.
Guidé par la foi dans le Christ sur la route difficile de l’Histoire de l’Homme, l’Ordre n’a jamais connu une période où son travail humanitaire a été autant sollicité et si exigeant.
Le monde se trouve face à un mépris toujours croissant des droits humains internationaux. Dans les zones de guerre, des bombes aveugles frappent des écoles et des hôpitaux, forçant ainsi des millions de personnes à abandonner leur pays natal. Les chiffres évoluent d’heure en heure dans la ville d’Alep, en Syrie, dévastée par cinq années de guerre impitoyable. Ceux qui sont restés en ville ont très peu de moyens pour survivre. Les atrocités de cette guerre poussent à la comparaison avec certains des moments les plus sombres de l’histoire récente : Srebrenica, Grozny, Guernica.
Les règles de la guerre – établies par les Conventions de Genève – ont été systématiquement ignorées en Syrie et ailleurs. Loin des équipes de télévision, les combats continuent sans relâche au Yémen et au Soudan du Sud, et les principes humanitaires y sont bafoués. La majorité des migrants, dont beaucoup de femmes, retenus dans des centres de détention libanais, ont été torturés et soumis à toutes les formes de violations et de privations.
Une réaffirmation vigoureuse et radicale des droits humanitaires internationaux et la promotion des droits de l’Homme sont les clés pour arrêter ces atrocités. Les institutions et organisations confessionnelles peuvent jouer un rôle important dans ce respect. Les religions partagent souvent des valeurs et des principes communs qui sont intégrés dans leurs doctrines fondatrices et leurs enseignements.
2016 a été marquée par des crises et des urgences géopolitiques, mais aussi traversée par une succession de catastrophes, guerres et actes terroristes, et des désastres naturels. Pour ces derniers, je me réfère particulièrement aux violents séismes qui ont secoué l’Italie cette année. Dans le centre de la péninsule, les bénévoles de notre Corps de secours italien et le Corps militaire de l’Ordre étaient sur place, réagissant dans les heures qui ont suivi les secousses du 24 août et du 30 octobre. À Amatrice, Norcia, Macerata et dans les autres villes et villages touchés par le tremblement de terre, secouristes, psychologues, et travailleurs de la santé ont porté assistance, offert un soutien psychologique et distribué des biens de première nécessité aux personnes désorientés et aux déplacés.
Mais l’Italie a aussi été au centre d’une autre situation d’urgence – celle des flux migratoires qui parcourent l’Europe depuis plusieurs années maintenant. Leurrés par des trafiquants sans scrupules, des masses désespérées risquent leur vie en mer Méditerranée, où il suffit de peu pour qu’une traversée pleine d’incertitudes se transforme en un voyage sans arrivée garantie. C’est pourquoi, c’est à partir de l’île de Lampedusa que le Corps de secours italien de l’Ordre travaille depuis 2008. Nos médecins et infirmiers, spécialisés dans l’aide aux migrants en mer, assurent un service hautement qualifié de jour comme de nuit.
En 2016, plus de 31 000 personnes traversant la Méditerranée ont été assistées par nos bénévoles italiens. Lors de ma visite au Palais du Quirinal, le président de la République italienne, Sergio Mattarella, face à ces chiffres importants, m’a demandé de transmettre ses félicitations et sa reconnaissance à nos bénévoles.
Le front italien n’est qu’un des nombreux endroits où nous faisons face à l’urgence des réfugiés. Ce problème mondial est devenu l’une des questions les plus complexes et dramatiques de notre époque. Plus de 65 millions de personnes ont été forcées de quitter leur domicile devant les conflits, la famine, les dictatures ou fondamentalismes religieux, et d’entreprendre le dangereux “voyage de l’espoir” à la recherche d’une vie meilleure. Dans ce scénario alarmant, l’Ordre de Malte est actif avec son réseau d’associations, d’ambassades, de corps de secours et de bénévoles, en offrant des premiers secours et une aide d’urgence et en travaillant à des projets de développement à long terme dans les régions d’origine, de passage et/ou d’arrivée. De nombreuses interventions sont concentrées au Moyen-Orient. En particulier, nous apportons de l’aide en Syrie, en Turquie, au Liban et en Irak, dans des hôpitaux de campagne, des centres médicaux et des cliniques mobiles, assistant ainsi 170 000 blessés et malades. Sur le continent africain, nous gérons en République Démocratique du Congo des projets d’hygiène et de santé pour 21 000 réfugiés et défavorisés ; nous distribuons de la nourriture aux déplacés internes au Soudan du Sud et dans les camps de réfugiés en Ouganda. En Asie, nous dirigeons, des projets sanitaires pour les réfugiés en Birmanie et en Thaïlande et leur apportons un soutien psychologique. En Europe, nous soutenons les victimes du conflit de l’est de l’Ukraine.
Même s’il est trop complexe pour moi de décrire ici toutes nos interventions, j’observe cependant qu’elles touchent de nombreux autres pays et régions importantes dans cette infinie “géographie de besoin”. Dans ces zones, nous sommes engagés dans une large série d’initiatives, comme l’aide médicale et sociale, la distribution de médicaments, de nourriture, l’évaluation de besoins de base, des écoles pour les enfants et des services pour les migrants handicapés. Un travail continu se poursuit derrière les lignes de front de l’urgence. J’en donne pour exemple le vaste réseau de 140 installations avec lesquelles l’Ordre en Allemagne poursuit, en partenariat avec les institutions fédérales et municipales, une pratique vieille de 25 ans d’assistance et d’intégration pour les migrants et les réfugiés.
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Les migrations sont un phénomène complexe et multiforme. Une réelle révolution démographique est en marche dans le monde aujourd’hui. À la suite d’une croissance de la population stable en Afrique, nous assistons à une évolution démographique décroissante en Europe. Quelles sont les incidences et l’ampleur de cette situation ? Trouver des stratégies partagées pour relever à la fois les défis et les opportunités constitue un impératif pour la communauté internationale.
Comme indiqué récemment au cours d’un séminaire organisé par notre ambassade auprès du Saint Siège, dans la plupart des cas, ce sont les femmes qui souffrent le plus dans le contexte des migrations. Elles sont souvent contraintes à l’esclavage ou la prostitution et soumises à des violences physiques et psychologiques tout au long du dangereux voyage vers un autre pays.
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Les efforts faits face au caractère exceptionnel du phénomène de migration ne doit pas pour autant nous faire oublier la pauvreté qui existe près de nous chaque jour. Lors de l’Année sainte de la Miséricorde, notre Ordre, à travers le Grand Prieuré de Rome, a renforcé ses efforts d’assistance et de solidarité dans les rues, dans les banques alimentaires et les centres sociaux, de même que dans les soupes populaires établies pour les pauvres. Dernières données annuelles : 210 000 repas chauds offerts, plus de 11 000 personnes assistées et environs 3 000 tonnes de nourriture distribuées, en plus d’activités comme l’aide médicale et l’aide sociale pour les familles en difficultés.
Comme vous le savez, chaque examen des activités humanitaires de l’Ordre dans 120 pays parcourt des contextes extrêmement différents, des programmes médicaux aux projets de fourniture d’eau, de l’assistance aux handicapés au travail à l’hôpital. L’Hôpital de la Sainte Famille de Bethléem, au cœur d’un pays déchiré par la guerre, continue d’être une source d’espoir pour des milliers de femmes enceintes et de nourrissons de races et religions différentes. Aujourd’hui, grâce à la gestion de l’Ordre de Malte France et le soutien de plusieurs gouvernements et agences d’aide, l’hôpital a également des programmes spécifiques de protection des mères face à une des plus grandes maladies du siècle, le diabète, un assassin silencieux, surtout dans les pays pauvres où les examens et traitements font défaut. Je tiens aussi à mentionner la campagne de sensibilisation que Malteser International, notre agence internationale de secours, a lancée en Colombie pour contenir le virus Zika, ainsi que le travail entrepris à l’Hôpital Saint Jean de Malte de Njombe au Cameroun où l’Ordre gère un programme de traitement pour les personnes atteintes par la malaria et le sida. Je me rendrai au Cameroun à la fin du mois de janvier lors d’une visite officielle et j’ai hâte de voir par moi-même notre travail dans ce pays.
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L’année qui vient de s’achever a aussi été importante pour l’activité diplomatique de notre Ordre. Avec notre participation au Sommet Humanitaire Mondial tenu à Istanbul sur une initiative du Secrétaire général des Nations Unies, l’intervention de l’Ordre a souligné la valeur de la contribution des institutions et organisations confessionnelles dans l’action humanitaire. Nous avons insisté sur le fait que, dans les situations de crises, les premiers intervenants les plus fiables pour les communautés locales sont très souvent les organisations confessionnelles. Pour cette raison, nous avons appelé à un dialogue inter-religions plus étroit, fondamental pour aider les victimes dans ses situations. Établir une nouvelle “grammaire” de coexistence et d’altruisme pour notre époque tellement effrayée par le terrorisme et les conflits n’est pas seulement un espoir mais une réelle possibilité. Nous sommes des interlocuteurs attentifs pour ceux qui partagent cette conviction. Nous l’avons démontré en février avec une série de rencontres à Bruxelles, centrées sur la crise des réfugiés, avec les leaders institutionnels de l’Union européenne. En septembre, l’Ordre de Malte a également participé à la 71ème Réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les migrations.
Plus tôt dans l’année, une réunion stratégique a eu lieu ici, à la Villa Magistrale, avec les hauts responsables de l’Ordre et les représentants du Gouvernement et du Parlement libyens. Les grandes inconnues – la crise des réfugiés, le trafic humain, l’infiltration des milices extrémistes en lien avec Daesh – ont été débattues avec les délégués des Nations Unies et de l’Union Européenne. Le futur de la Libye, carrefour stratégique des routes de migrants, et la stabilité du processus de normalisation politique lancé avec l’installation du Premier Ministre Al Sarraj, sont liés à la résolution de ces incertitudes. L’opération Sophia, la mission européenne lancée en Méditerranée en 2015 pour briser le trafic d’êtres humains sur les routes migratoires, à partir de la Libye, témoigne de l’importance d’une approche commune des états et institutions pour affronter les urgences majeures. Une délégation de l’Ordre a visité le porte-avion Garibaldi, vedette de l’opération Sophia.
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Au niveau institutionnel, notre calendrier, l’année dernière, a également comporté d’excellentes opportunités de dialogue, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’Ordre de Malte, en commençant par les rencontres régionales tenues en 2016 : la Conférence internationale des Hospitaliers à Malte en mars, la Conférence méso-américaine à Panama en milieu d’année et deux conférences en automne : à Vilnius avec les organisations et ambassades de l’Ordre en Europe centrale et Europe de l’Est, et la conférence Asie-Pacifique à Séoul.
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Les relations internationales de l’Ordre comportent la signature d’un certain nombre d’accords de coopération significatifs : avec la République d’Albanie sur des projets communs dans le domaine hospitalier, de l’école et de la protection civile ; un accord sur la formation médicale et le soutien professionnel entre l’Hôpital pour enfants de Rome Bambino Gesù, qui appartient au Saint Siège, et notre Hôpital de la Sainte Famille à Bethléem. Deux autres accords de coopération importants ont été signés avec le Gabon et la Biélorussie.
En terme de relations bilatérales, j’ai effectué un certain nombre de rencontres officielles avec des chefs d’État et de gouvernement qui, grâce à une collaboration fructueuse avec vous, m’ont permis de resserrer les liens et la coopération avec de nombreux pays pour fournir une aide médicale et humanitaire. À l’image de ma visite au chef d’État italien qui a permis d’établir une analyse mutuelle approfondie des points sensibles de la crise internationale, j’ai suivi un programme intense de visites d’État en Amérique centrale en février, voyageant au Salvador, en Honduras et au Panama. Dans les échanges avec leurs autorités institutionnelles, j’ai été ravi de réaffirmer l’importance d’un renforcement des synergies pour les soins de santé, les services sociaux et la prévention des catastrophes naturelles liées aux changements climatiques. Pendant l’année également, j’ai eu des rencontres constructives ici, au Palais Magistral, avec le président du Costa Rica, Luis Guillermo Solís, avec le président slovène, Borut Pahor, et avec le président de l’Albanie, Bujar Nishani, lors de sa visite d’État. En octobre, ma visite officielle en Arménie comprenait des entretiens avec le président Serzh Sargsyan et une rencontre cordiale avec le Patriarche Karekin II.
L’Ordre a aidé à organiser au Vatican une convention internationale sur le traitement des personnes touchées par la maladie de Hansen (la lèpre), une des préoccupations sanitaires historiques de l’Ordre. Nous avons aussi accueilli une réunion avec les délégués du Transatlantic Policy Network on Religion and Diplomacy – un comité des hauts représentants des gouvernements européens, américain et canadien – pour analyser les liens de plus en plus étroits entre la religion et les relations internationales.
Je ne saurais conclure sans mentionner le Jubilée de la Miséricorde, qui a représenté une opportunité unique de développement spirituel pour l’ensemble du monde catholique. Comme l’écrit le pape François dans son encyclique Lumen Fidei, “ La souffrance nous rappelle que le service rendu par la foi au bien commun est toujours service d’espérance”. C’est précisément pour répondre à cette espérance qu’il a été demandé à beaucoup d’entre nous de faire un effort exceptionnel pour aider les pèlerins venus du monde entier à Rome lors de cette Année Sainte Extraordinaire. 1 800 bénévoles de l’Ordre se sont relayés quotidiennement aux postes de premiers secours placés dans les quatre basiliques principales. Foi et dévotion en septembre également quand 120 000 personnes se sont réunies sur la Place Saint-Pierre pour la canonisation de Mère Teresa de Calcutta : son exemple de service inlassable envers ceux dans le besoin est une source d’inspiration pour l’ensemble des bénévoles. Selon les mots de cette grande interprète de la charité chrétienne : “Ce qui compte ce n’est pas ce que l’on donne, mais l’amour avec lequel on donne”.
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Chers Ambassadeurs,
Au début de cette nouvelle année, dans notre engagement commun, permettez-moi de vous remercier pour l’aide que vous apportez à la promotion du travail humanitaire de l’Ordre Souverain de Malte. Un de mes illustres compatriotes, le Bienheureux Cardinal John Henry Newman, décrit ainsi cette institution historique : ‘Dieu m’a créé pour une tâche précise à Son service… J’ai une mission… Je suis un maillon d’une chaîne, un lien entre les personnes… Je le ferai bien ; je ferai Son travail”.
Aussi longtemps que la douleur et les souffrances existeront sur le chemin de l’humanité, nous maintiendrons nos efforts pour les combattre.
À vous tous, à vos familles et aux pays que vous représentez, j’adresse mes meilleurs vœux pour 2017. Que cette année soit riche en grâce spirituelle, dans laquelle puissent grandir la paix et la miséricorde, comme un signe d’espoir pour ceux, proches et éloignés, que vous représentez ici aujourd’hui.